Torotoro, ou la pampa des dinosaures.
Holà, c'est Loux qui prend le relais de Fatima pour une petite page d'écriture...
Après l'aventure amazonienne, nous voilà parti pour Tororo, petit village perdu dans les montagnes au sud de Cochabamba. Le trajet depuis La Paz commence par une nuit en bus "cama": incroyable! Dodo en position allongée pendant les 8h de bus. Arrivés à Cochabamba au petit matin, surprise: défilé militaire sur la place principale, devant une banderole "la Bolivie veut son accès à la mer". Saule est aux anges: fantassins, mariniers, chasseurs alpins, aviateurs et autres corps de l'armée se succèdent sur fond de fanfare infatigable. Nous faisons connaissance avec Suzanne, une bolivienne ayant principalement vécu à Paris et Londres, qui nous explique que cette parade a lieu tous les lundi matin dans toute la Bolivie!
Ayant sa journée libre, Suzanne nous prend par la main pour nous présenter sa ville, et nous invite à boire le thé chez elle. Longue discussion sur l' univers des possibles dans la Bolivie d'aujourd'hui: démocratie participative, boum économique, ouverture au tourisme, etc. Heureusement pour les loulous, il y a plein de BD en français chez elle, dont tintin au pays des incas. Midi: on retrouve Zoé, sa fille de 12 ans, à la sortie de l' école, pour aller manger une soupe au "mani" (arachide) sur les tables de comida en plein milieu du marché couvert. Zoé est à 200 km/h, le marché est immense et débordant de vie, la soupe est délicieuse... Toujours pleines d'énergie, Suzanne et Zoé nous emmènent au sommet du Christo de la Concordia pour admirer la ville a 360 degrés, puis Jasmine et Meissa accompagnent Zoé à son cours de violon pendant que nous dégustons une chicha (boisson au mais) façon Santa Cruz. C'est un peu déconnectés que nous prenons enfin le bus pour Torotoro en fin de journée...
LE bus de Torotoro. En fait, il y en a 2: le premier avec un gros dinosaure en peinture, le deuxième avec le chauffeur dans le moteur. Bien sûr, notre choix se porte sur le deuxième... Chose étonnante en bolivie: les bus pour les destinations perdues partent toujours tous à la même heure. Notre bus démarre donc a l' heure dite, le capot moteur refermé, dans un vrombissement ahurissant. Alors que nous savourons tous le festival d'odeurs a l'intérieur du bus et le confort de ses sièges défoncés, c'est Meissa qui tire le gros lot: un énorme et immense (et pourtant c'est rare) bolivien complètement bourré lui prend sa place côté fenêtre pour lui tenir compagnie pour tout le voyage. Nous arrivons finalement à 23h, après 5h de route montagneuse en pavés. La fatigue est intense et le village est désert. Heureusement, l'hôtel Vergel, le seul allumé, nous ouvre ses portes sur Edouardo: le tenancier d'hôtel probablement le plus accueillant de toute la Bolivie.
Torotoro: petite bourgade rurale située au creux d'un effondrement de plaque sédimentaire en forme de mâchoire de crocodile de quelques dizaines de km de long. Le village se situe à mi chemin entre une vallée de climat tropical où poussent agrumes et arachides et des crêtes montagneuses peuplées de fermettes en quasi-autarcie à 4.000 m d'altitude. Torotoro est le chef-lieu de quelques 250 hameaux ainsi répartis sur rayon de 50 km. Voici quelques centaines de milliers d'années, la région aurait donc été un fond marin proche du littoral, lequel serait aujourd'hui représenté par la partie la plus orientale du massif andin.
Ces quelques explications permettent de comprendre combien 4 jours passés dans ce lieu ne sont pas de trop: ballade à la chasse aux fossiles sur fonds de terres ocres, rouges, noires, vertes, bleues / descente dans un canon de 250 mètres de profondeur pour se baigner sous la cascade de la 'Vergel', véritable rivière souterraine débouchant à flanc de falaise / excursion dans la "ciudad de itas", impressionnant labyrinthe de ruelles creusées à même la roche, avec d'innombrables cathédrales naturelles, quelquefois encore décorées de peintures rupestres datant de 8 à 12.000 ans que l' on peut toucher du bout du doigt (!) / visite des fameuses empruntes de dinosaures, souvenir inoubliable: sur plusieurs mètres, on peut suivre du regard les traces d'un diplodocus ou d'un tyrannosaure étant passé par là il y a fort longtemps... D'ailleurs, côté faune, le parc naturel ne nous déçoit pas: condors, "guitras" (entre l' aigle et le vautour), perroquets et des dizaines d'autres oiseaux dont nous n'avons pas pu mémoriser le nom.
Côté humain, l'aventure reste intense. D'une part, Edouardo et Guisela, nos hôtelier, sont tous deux d'anciens universitaires pacenos. Guisela parle un français sans fautes, forte d'une dizaine d'années passées entre la France et la Suisse. D'autre part, rencontre avec Audrey, sa fille de 8 ans Lilaia et son compagnon Ulysse, improbables québécois terminant un séjour de 6 mois au motif d'une thèse sur les femmes dans la vie politique en Bolivie. C'est donc une plongée dans le bilan des dix années Evo Morales, très contrastée : d'un côté une nette amélioration des moyens, pour tous, partout: soins périnataux et gériatriques gratuits, organisation démocratique ascendante en communautés autonomes, large financement des initiatives individuelles, répartition des budgets au prorata de la population, etc. Ainsi, en une dizaine d'années, les populations indigenes, très majoritaires sur tout l'altiplano et dans le chapare (piémonts de l'amazonie) ont l'occasion de s' approprier un pouvoir qui ne leur avait jamais été accordé, pas même au temps de l' incas. Contrepartie: débauches d'argent sur des projets non suivis et peu structurés (construction de stades couverts qui ne servent a personne, équipements high-tech sans main d'oeuvre qualifiée, achat d'écrans plats géants sans le minimum sanitaire a la maison...). Faute au manque d'éducation selon l' avis concordant de Audrey et Guisela, qui déplorent la présence d'analphabètes à des postes de responsabilité collective.
Pour en revenir à notre vision de touristes contemplatifs, cette excursion fut d'une grande simplicité au milieu d'une population cette un peu indifférente à notre présence, mais toujours bienveillante.
Épilogue: de retour à Cochabamba, nous retrouvons Suzanne, Zoé, Audrey, Ulysse et Lilaia autour d'un magnifique gâteau d'anniversaire pour les 6 ans de Saule, dans un parc entièrement dédié aux enfants... Magie du voyage que de provoquer de telles situations imprévisibles!!!